ACTUALITES DU LANGUEDOC ROUSSILLON - PERPIGNAN MONTPELLIER

compte-rendu de lecture réalisé à l’Université Montpellier 3

Par admin • • Catégorie: sociologie

Compte-rendu de l’ouvrage Henri-Pierre JEUDY, Sciences sociales et démocratie, Paris, Circé, 1997, 242 p.

La question qui se pose à une science sociale profondément impliquée dans la gestion de la société est celle de ses possibles : quand pouvoir et savoir tentent de préserver en un même mouvement « l’unité du social », y a t-il possibilité de connaissance ? C’est à la question d’une souveraineté du sujet dans notre contemporanéité que s’attaque Henry-Pierre Jeudy dans le présent ouvrage.

Les membres d’une société moderne ne sont plus sujets du « corps social », soumis à la détermination du pouvoir qui les gouverne, ils se doivent de se représenter la réalité comme objet pour mieux la gérer. Le nominalisme contemporain laisse à penser que celle-ci est construite par les mots eux-mêmes tant le langage y a pris un rôle considérable. Dans cette réalité là l’intercompréhension est la règle de base de connaissance pour des sciences sociales ayant tendance à distancier la connaissance « savante » de la connaissance « ordinaire ». L’idéalisation de la figure de « l’acteur » est le postulat cognitif d’une réalité alors toujours en mouvement, multiple, effervescente. Or cette théâtralisation du monde s’offre en représentation d’un cadre beaucoup plus général, celui du « corps social » dans lequel s’ordonnancent les acteurs. Et c’est ainsi, en suivant au plus près les manifestations des acteurs sur la scène contemporaine, que les sociologues découvrent l’inévitable complexité de la réalité sociale (qu’est-ce qui fait corps dans le monde social, qui peut donner sens à toutes ces manifestations ?), et surtout, la fragilité de son éventuelle unité (qu’est-ce qui menace les équilibres contemporains ?). C’est cette dernière préoccupation qui fait problème : c’est dans la voie d’une « auscultation » du  social  - repérer les éventuelles diffractions de l’unité sociale, l’éventuelle désagrégation du corps social - que le sociologue se risque à une récupération par le politique gestionnaire dont le terrain d’intervention est le social. Cet entrecroisement des perspectives de la connaissance et du pouvoir, de la science sociale et de la démocratie, forme le paysage de notre contemporain.

S’il n’y a pas de réalité hors langage, sciences sociales et politique usent des mêmes métaphores : c’est la conceptualisation de la « misère du monde », des « relations de proximité » à développer, d’un « tissu social » à préserver ; c’est l’injection des concepts de « médiations » ou le réenclenchement de la « citoyenneté » dans la société civile. C’est la surconceptualisation de la réalité dans une rhétorique sociologico-politique gestionnaire, un nouveau réalisme des sciences sociales tout d’intégration. L’interprétation, que les sciences sociales ont pour projet de maintenir dans la société du spectacle, se fige dans un procès de production conceptuelle opératoire investie dans la gestion des rapports sociaux. Il n’y a de réalité que dans et par le langage qui organise tout : l’interprétation des sciences sociales et l’interventionnisme du politique s’allient à cet effet dans un même discours. Dès lors comment sortir de cette alliance aveuglante d’autant plus difficile à critiquer que la science ne peut se départir d’une visée humaniste - par recherche positive du Bien universel auxquels Raison et procès d’objectivation participent de tout leur allant - qui rejoint ici la volonté pacificatrice de l’ordre politique ? Seule l’éthique, qui redouble les discours d’objectivation, est au centre de la critique en science sociale, non dans le sens criticiste d’une omniprésence du pouvoir dans les décisions, comme ce fut le cas dans les années 60/70, mais dans la fondamentale question de l’isomorphisme du langage à la réalité (car encore une fois il n’y a pas de réalité extérieure au langage !). C’est ainsi que l’on se demande ce que signifie qu’une théorie puisse entrer en conflit avec le réel (T. Kuhn) ?  Devant l’empire de la métaphysique dans la connaissance n’est-il pas préférable de renoncer au monde  (R. Rorty) ? L’universalisme de la description est-il a priori ou fait de l’observation ?… L’empirisme lui-même est asservi aux cadres conceptuels qui le permettent.
Sciences cognitives et philosophie analytique répondent à leur manière au problème du mariage de la réalité et du langage : alors qu’il est difficile de séparer système de représentation et valeurs dans l’énonciation d’un fait d’expérience, les sciences cognitives se chargent d’éradiquer toute idéologie des discours de la connaissance en considérant sur un même plan corps physique et manifestations de l’esprit dans leur invariance. Ce caractère formel et matériel de la relation de « l’homme » à son « environnement » (du cerveau neuronal aux manifestations de l’esprit) évacue toute contingence dénuée du sens de la perspective. A l’éthisation de la connaissance elles opposent un langage technique formel. Sur ce même point, mais avec d’autres moyens, la philosophie analytique, prenant pour objet les procédures d’argumentation systématique langagières que développent les acteurs du monde contemporain, recherche dans la normativité des faits de langage la vérité des rapports sociaux : les faits sociaux étant faits de langage, c’est dans la mobilisation des énoncés et leurs conditions d’accomplissement que se lira l’organisation sociale. Une telle procédure, qui ne considère que des acteurs rationnels et forcément collectifs, évide tout sujet de sa souveraineté, anéantit l’hypothèse d’un inconscient, rejette l’arbitraire et le symbolique dans un « jeu des possibles » qui ne peut que concerner poètes, artistes ou philosophes, mais en aucun cas la vérité pragmatique d’un être-ensemble qui signe, lui, le « trépas des possibles ».

Mais ce sont sur d’autres points que le consensus ambiant et le primat de la conceptualisation de la réalité peuvent être plus sérieusement attaqués :

- le fait que le symbolique n’est jamais évacué du langage ou encore qu’il manifeste une intemporalité qui le met hors d’atteinte d’entreprises réductrices de sens qui veulent organiser la temporalité en unités causalistes signifiantes,

- la différenciation du statut du concept lui-même selon les traditions cognitives (existentiel et essentiel chez les phénoménologues ; formel, déshumanisé pour les sciences cognitives) qui balaie toute velléité consensuelle, pacificatrice de sens, comme aujourd’hui dans la connaissance,

- la propre temporalité de l’interprète, qui livre le sens selon « sa » temporalité (celle de la représentation) et non celle de l’événementiel (donc singularise la portée conceptuelle, l’efficacité des théories),

- la propre subjectivité de cet interprète qui entretient de manière indéniable un rapport singulier au temps, à la mort, à la notoriété…choses qui influent sur son travail quant il veut se poser comme « noeud de transition » ;

- la médiatisation générale de la société qui fait circuler idées, mots, représentations, dans les consciences et inconscients, qui influe sur les pratiques ordinaires ou savantes, qui atténue cette distinction entre « temps réel » (du direct, de l’événement, du journaliste) et « temps différencié » (de la représentation, de la distance, du sociologue) : comment le sociologue y échapperait-il ?

Une Réponse »

  1. la tension science social / société s’est encore plus accentuée dans les années 2000 où on a vu, avec l’avènement des nouvelles technologies et d’Internet, les citoyens, “amateurs” participer et créer même des formes nouvelles d’expression de débats (forums, blogs, réseaux sociaux). Certains collectifs émergents sont même en quelque sorte institutionnalisés (les “forums hybrides”)

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